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Jeunes africains : l'agriculture devient une alternative à l’exode

Jeunes africains : l'agriculture devient une alternative à l’exode
Filly Mangassa et Mamadou Camara, qui font partie des jeunes Africains qui s'installent dans les zones rurales, Tambacounda, au Sénégal, le 5 novembre 2025.   -  
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AP Photo

Sénégal

Par un après-midi brûlant au Sénégal, l’agriculteur Filly Mangassa, 33 ans, chargeait des plants d’arachides sur une charrette tirée par un cheval, soulevant des nuages de poussière.

Il y a dix ans, il avait quitté son village pour la capitale, Dakar, rêvant de devenir professeur. Mais le coût élevé de la vie et le manque d’emplois ont rendu ce rêve inaccessible.

« Surtout après le COVID, les entreprises ne recrutaient plus et les prix augmentaient », explique Mangassa, titulaire d’un master en criminologie. « Je me suis dit : mon père et mon grand-père étaient agriculteurs, alors pourquoi ne pas utiliser cette expérience, retourner dans ma ville natale et essayer de gagner ma vie dans l’agriculture ? »

Dans une grande partie de l’Afrique, l’agriculture est depuis longtemps perçue comme un travail peu valorisé, poussant les jeunes vers les villes à la recherche d’emplois de bureau.

« Pour mon père et certaines personnes de ma famille, mon retour à la campagne était un peu vu comme un pas en arrière », raconte Mangassa.

Mais cette perception est en train de changer. La hausse des prix alimentaires, les investissements dans l’irrigation et l’accès aux nouvelles technologies rendent l’agriculture plus rentable. Les gouvernements et les ONG financent désormais des programmes qui enseignent des techniques agricoles avancées et soutiennent les agriculteurs avec du matériel, des engrais, des pesticides et des semences.

« Quand mon père a vu que j’avais un plan d’affaires clair et solide, il m’a encouragé et m’a aidé dans les démarches administratives pour acquérir des terres », explique-t-il.

Mangassa fait partie d’un mouvement de jeunes Africains qui quittent les villes pour tenter leur chance dans l’agriculture. Il affirme réaliser un bénéfice d’environ 2 millions de francs CFA (environ 3 500 dollars par an), bien au-dessus du revenu annuel moyen du Sénégal, estimé à environ 2 500 dollars.

L’Afrique est la région du monde qui s’urbanise le plus rapidement, avec des villes qui croissent en moyenne de 3,5 % par an. À mesure que les populations urbaines augmentent, le coût de la vie s’envole.

Les loyers médians et les prix des denrées alimentaires dans des villes comme Dakar ou Nairobi, la capitale du Kenya, se rapprochent de ceux des grandes villes européennes, alors que les salaires médians y sont nettement plus faibles, selon la Banque mondiale.

Parallèlement, entre 10 et 12 millions de jeunes Africains arrivent chaque année sur le marché du travail, tandis qu’environ 3 millions d’emplois formels seulement sont créés, d’après la Banque africaine de développement.

« Beaucoup de mes amis qui ont obtenu leur diplôme en même temps que moi travaillent aujourd’hui comme conducteurs de moto-taxis et gagnent à peine de quoi vivre », confie Mangassa.

Aider les jeunes agriculteurs à accéder à la terre

Mangassa possède aujourd’hui une exploitation de 13 hectares (32 acres) où il cultive des arachides, du maïs, des légumes et des fruits. Il a bénéficié d’un financement pour acheter des terres grâce à une initiative du Programme alimentaire mondial (PAM) destinée à aider les jeunes Africains à démarrer une carrière dans l’agriculture.

Lancé en 2023 et prévu jusqu’au début de 2027, ce programme a soutenu environ 380 000 personnes dans la création d’entreprises agricoles.

Il travaille avec les gouvernements locaux pour permettre aux jeunes agriculteurs d’accéder à la terre — un défi majeur en raison de systèmes fonciers complexes et des difficultés des jeunes à obtenir des prêts, car ils sont souvent considérés comme à haut risque.

Au Sénégal, le programme a soutenu plus de 61 000 personnes, dont plus de 80 % ont lancé des exploitations agricoles, selon le PAM. Il est également actif au Ghana, au Nigeria, au Mozambique, en Ouganda, au Rwanda, au Kenya et en Tanzanie.

« Nos enquêtes montrent trois principaux obstacles à l’entrée des jeunes dans l’agriculture : l’accès limité à la terre, au financement et aux intrants ; le manque de compétences pratiques ; et des conditions de marché difficiles — savoir quand vendre, comment créer de la valeur ajoutée et comment commercialiser ses produits », explique Pierre Lucas, directeur pays du PAM au Sénégal.

Le Sénégal, comme de nombreux pays africains, est confronté à une forte insécurité alimentaire, aggravée par la réduction des financements des donateurs et par la détérioration des conditions climatiques.

La région se remet également de l’héritage de l’ère coloniale, souligne Ibrahima Hathie, économiste agricole au sein du groupe de réflexion sénégalais Initiative prospective agricole et rurale.

« Au Sénégal, par exemple, les agriculteurs étaient poussés à cultiver l’arachide destinée à l’exportation vers la France plutôt que des cultures vivrières », rappelle-t-il.

La rareté des terres arables et la dégradation des sols limitent encore la production alimentaire.

Mais aujourd’hui, de nombreux jeunes agriculteurs se tournent vers des cultures à forte valeur ajoutée et disposent de meilleures technologies, ce qui augmente la production, selon Hathie, qui estime qu’à mesure que davantage de denrées produites localement arriveront sur les marchés, les prix des produits de base pourraient baisser.

L’agriculture comme alternative à la migration

Le Sénégal est l’un des principaux points de départ des migrants tentant de rejoindre l’Europe par la dangereuse route de l’Atlantique. Les autorités considèrent l’agriculture comme un moyen de créer des emplois et de retenir les jeunes dans le pays, en lançant des campagnes dans les zones rurales les plus touchées par la migration.

« Je suis convaincu que le seul secteur capable de créer les centaines de milliers d’emplois dont les jeunes d’Afrique ont besoin est l’agriculture et l’élevage », a déclaré le ministre sénégalais de l’Agriculture, Mabouba Diagne, à des journalistes en octobre.

Adama Sane, 24 ans, rêvait autrefois de rejoindre l’Europe, mais n’avait pas l’argent nécessaire pour payer les passeurs. Installé à Dakar en 2020, il peinait à joindre les deux bouts comme ouvrier du bâtiment. Puis il a entendu parler de l’initiative du PAM.

« D’une certaine manière, découvrir l’agriculture m’a sauvé la vie », confie Sane. « Si j’étais resté dans la construction, j’aurais tenté la traversée de l’océan tôt ou tard. »

Il élève désormais de la volaille et cultive des piments sur son exploitation de deux hectares dans son village.

« Je suis encore loin d’avoir atteint mes objectifs, mais au moins j’économise beaucoup plus d’argent qu’en ville et la vie est moins stressante », explique-t-il. « Beaucoup de jeunes pensent que l’agriculture est un “petit métier”, mais on commence à prendre conscience que ce secteur peut être la clé du développement au Sénégal. »

Trois autres migrants potentiels travaillent aujourd’hui pour Mangassa.

Mamadou Camara, 22 ans, Issa Traoré, 22 ans, et Madassa Kebe, 23 ans, vivaient à Bamako, la capitale du Mali, où ils avaient du mal à trouver un emploi. Leurs familles les avaient aidés à réunir de l’argent pour tenter la traversée de l’Atlantique vers l’Europe via la Guinée-Bissau, mais ils affirment qu’un passeur a disparu avec la somme.

Ils ont décidé de rentrer chez eux en passant par le Sénégal, où ils ont rencontré Mangassa.

« J’ai compatit avec eux parce que je sais ce que c’est que de travailler dur sans parvenir à s’en sortir, alors que sa famille compte sur vous », confie Mangassa. « Je voulais leur montrer qu’il existe des opportunités pour les jeunes ici. »

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